Témoignage : au cœur d’un centre d’éducation canine aux méthodes coercitives

Témoignage éducation coercitive maltraitance

Avant de se tourner vers les méthodes positives, Camille a suivi une formation dans un centre d’éducation canine utilisant des méthodes coercitives. Son expérience date de 2019, et le centre est toujours en fonctionnement à ce jour, recevant particuliers et professionnels.

Découvrez son témoignage poignant en format audio ou écrit.

Quel était le format du stage ?

On pouvait faire soit les 15 jours de pratique de la fin, en faisant toute la théorie à domicile, ou soit deux mois de théorie et pratique 100% au centre. Comme j’étais chez Amazon, je n’ai pas pu faire deux mois au centre, ce qui n’est pas plus mal au final. Je n’ai donc fait que les 15 derniers jours. La théorie, je la voyais chez moi sur mon temps libre. Je crois qu’il y avait environ 1 200 pages de cours. Au centre, il m’interrogeait régulièrement pour vérifier que j’avais bien appris la théorie. Je me suis fait reprendre sur certains points parce qu’il “n’avait pas écrit ça comme ça”. Je lui avais apporté la même réponse, mais tournée avec mes mots. Au final, tous les éléments étaient là, mais il aurait fallu que j’apprenne mot à mot.

Que contenaient les cours théoriques ?

La hiérarchie, forcément. Il y avait les classiques : le chien est dominant, il ne faut pas le laisser passer les portes avant nous, il fallait manger avant, etc.

Comment avais-tu choisi le centre ?

Je ne connaissais pas du tout le métier, ni les formations en ligne, c’était beaucoup moins connu à l’époque. Du coup, je me suis dit : pour vraiment voir, je veux un truc en présentiel. Je voulais avoir un cadre, une structure puisque je débutais totalement. Le souci, c’est que c’était le seul dans mon secteur qui proposait ce genre de choses.

Avais-tu déjà des connaissances sur le chien ?

Alors en tant que particulier, oui, parce que j’avais ma chienne, j’avais suivi des cours d’éducation. C’est comme ça que j’ai voulu faire une reconversion vers le métier d’éducateur canin.

T’attendais-tu à ce que tu as vu ?

Non. Pourtant, quand j’y suis allée, j’avais cette vision du chien dominant parce que je ne trouvais que ça sur Internet. Tout allait dans ce sens-là. Donc en soi, l’approche me paraissait cohérente au niveau de la théorie. Quand j’ai vu la pratique, au bout de deux jours, je me suis dit : Mais qu’est-ce que je fais là ?

Comment se passaient les journées ?

Il y avait des clients qui venaient au centre, surtout le soir. On les voyait en individuel et en cours collectifs. Dans la journée, on avait quelques cours avec le formateur quand il n’y avait pas de client : il nous expliquait sa façon de faire, on revoyait les cours et on apprenait des méthodes pratiques comme la technique du ferrage.

Qu’est-ce que le “ferrage” et comment on vous l’a appris ?

C’est mettre de gros coups de saccades sur la laisse. Il faut doser en fonction de la force du chien. Si c’est un petit ou un grand chien, tu as plusieurs dosages possibles de ferrage. Il y avait l’explication en théorie, mais après, il fallait s’exercer.
Au niveau de la pratique, nous, on tenait le bout de la laisse comme si nous on était le chien et lui ferrait. Il nous a d’abord montré comme ça. Rien que ça, les poignets prennent un sacré coup ! Après, c’était l’inverse, mais même pour nous, le geste de ferrer fait mal. Comme lui, en plus, c’est le mec macho, c’est jamais assez fort, il fallait y aller. Il nous disait “là, tu dois ferrer un gros chien, tu dois ferrer un petit chien”. Et on devait adapter notre dosage de ferrage. Quand on ne le faisait pas bien, il nous le remontrait. Du coup le poignet reprenait un coup.

Y avait-il des colliers électriques ?

Tout le temps, dès que tu partais faire une séance en extérieur, le chien avait tout le temps le collier électrique, au cas où. Coup de collier électrique, surtout pour les chiens réactifs. Les mâles qui lèvent la patte aussi. Les mâles n’ont pas le droit de lever la patte, sinon, c’est qu’ils sont en train de dominer donc coup de collier électrique ou ferrage, ça dépend ce qu’il a mis.

Jusqu’où allait-il pour appliquer la hiérarchie ?

S’il y avait un chien mâle dans la maison et que la personne était en couple ou avait un enfant, forcément, le mâle voudrait prendre le dessus sur l’homme de la maison pour protéger la femme qui serait sa femelle. Tu pars un peu dans ce délire-là. Et il s’assure aussi de pisser partout sur son terrain pour montrer aux chiens qu’ils sont sur son territoire à lui. Quand il faisait des cours, il retenait à quel endroit le chien allait pisser pour repisser lui-même après par au-dessus (j’ai au moins eu la chance de ne pas le voir faire !).

Quelle autre technique avez-vous appris ?

On a aussi appris les techniques autour des canettes : à bien les créer, à bien les sceller, à bien les jeter pour que ça soit assez marquant pour le chien. Là-bas, ils faisaient avec des cailloux. Ça servait à sanctionner le chien en général, peu importe la problématique. On a appris à en lancer, à enchaîner plusieurs canettes à la suite, des fois qu’une seule canette ou deux qui tombent par terre, ce n’est pas suffisant. Il faut vraiment les claquer au sol et bien viser parce qu’il faut les lancer assez près du chien pour que ça soit marquant, mais pas les lancer sur le chien. Après, si ça tombe sur le chien, ce n’est pas trop grave, ça peut arriver…

Comment se passait une prise en charge d’un client ?

Pour chaque chien, que ce soit pour du suivi individuel ou pour du collectif, ça commence tout le temps par un bilan. Les gens arrivent dans le bureau, il faisait son entretien avec ses questions classiques, ses explications classiques de la hiérarchie, peu importe le problème, peu importe que le chien ait trois mois ou dix ans, peu importe qu’il soit là pour de la malpropreté, pour le fait de tirer en laisse, pour de l’apprentissage. C’était toujours une question de dominance. Le bilan se déroulait tout le temps de la même façon. Tout ce qui se passait à la maison, quand les clients expliquaient, ils s’en fichait. Lui, ce qu’il voulait voir, c’était juste ce qu’il se passait là, à ce moment-là, parce que de toute façon… c’était un peu la même réponse pour toutes les problématiques : “Votre chien est dominant”, point.

Après avoir posé ses questions, il passait à la pratique : il lançait un gâteau par terre, le chien va voir, ne serait-ce que par curiosité, et dès qu’il s’approche, il claque les canettes juste à côté, sur le carrelage. Si le chien a juste un mouvement de recul et qu’il retente de s’approcher il reclaque plusieurs canettes à la suite. Souvent on finit avec le chien qui est complètement vautré sous la table, tremblant, la queue entre les pattes. Il prévenait quand même de la méthode, mais pas de la violence du choc des canettes. Il demandait aux gens de ne pas intervenir, car c’est l’environnement qui allait punir le chien donc il allait apprendre comme ça. Les gens écoutaient, ils n’avaient pas tous les mêmes réactions, mais comme il avait ses arguments pour montrer que ça fonctionnait, les gens restaient. Le pire c’est que certains propriétaires rigolaient en voyant que ça marchait.

Y a-t-il une méthode qui t’a particulièrement choqué ?

Pour apprendre le rappel, on allait tout de suite en extérieur, il accrochait une longue corde d’au moins 10 mètres au collier du chien et il le lâchait. Il fallait rappeler le chien, et s’il ne revenait pas tout de suite il mettait son pied sur la corde. En gros ça équivaut au ferrage avec 10 mètres de distance. Donc quand le chien part en courant et qu’on l’arrête comme ça… Il y en a pas mal qui ont fait des vols planés. Le chien n’osait plus s’éloigner à force, mais en soit il n’avait pas appris le rappel. Il avait juste appris que s’il partait loin, il se prenait un carton.

Est-ce que des friandises étaient utilisées ?

Oui, tu récompenses une fois de temps en temps quand ton chien fait bien, par contre à la moindre erreur c’est tout de suite sanctionné. Donc tu as 80 % de sanction et 20 % de récompense. Et encore ça dépend, quand tu es sur le terrain tu peux récompenser par contre pas en balade. En tous cas en extérieur je ne me souviens pas avoir déjà vu quelqu’un en donner.

As-tu déjà amené ton propre chien sur place ?

J’ai ramené ma chienne Emy parce que on était censé avoir aussi une partie sur les sports canins, surtout l’agility. Comme j’en avais déjà fait un peu avec elle, j’avais proposé de la ramener. Ce jour-là Emy est arrivée sur le terrain pour la première fois donc elle prenait les odeurs, elle n’écoutait pas trop. Mais lui a tout de suite voulu qu’elle soit à l’écoute pour tout. Pour lui, j’avais un chien mal éduqué qui se foutait de moi, qui avait le dessus sur moi parce qu’elle ne m’écoutait pas et elle faisait sa vie plutôt que de m’obéir. J’ai retenté plusieurs fois en récompensant quand elle m’écoutait, on a réussi à passer quelques obstacles mais pour lui ça n’allait pas assez vite. Donc il est parti chercher une canette. L’avantage, c’est qu’Emy n’avait pas été traumatisée par le bilan avec lui, donc quand il a jeté sa canette devant elle pour qu’elle m’écoute… elle a commencé à vouloir jouer. Il s’est retrouvé un peu comme un con. Elle avait déjà été habituée à plein de bruits, mais en gros c’était de ma faute.

Quels conseils étaient donnés pour les chiots ?

Les conseils de dominance : le chien doit manger tout le temps après nous par exemple. Il fallait aussi apprendre la marche en laisse, même à 2 mois il devait savoir marcher au pied, etc. Tout ce qui est socialisation, je n’en ai jamais entendu parler chez lui. C’était vraiment de l’éducation pure pour que le chien soit soumi à ses maîtres. Même sur les cours collectifs, tu rentres sur le terrain, chacun se met l’un derrière l’autre parfois collés à 1 mètre de distance et le chien doit être au pied. S’il essaie d’aller sentir un petit peu devant, coup de ferrage, s’il essaie de s’arrêter un petit peu, coup de ferrage.

Quel était l’attitude générale des chiens ?

Tu voyais quand un chien n’avait pas encore fait son premier rendez-vous, il arrivait tout content, plein de curiosité à vouloir sentir à droite à gauche. Alors que quand il a déjà fait deux ou trois séances… il ne bouge plus, il attend et il subit. Dès qu’il avait un peu le nez par terre, il se prenait une saccade sur le collier. Donc ils étaient juste à côté des gens au pied avec même pas 20 cm de laisse et ils ne bougeaient pas. Ils ne pouvaient rien faire, même en promenades il marchait au pied la tête en l’air comme des robots.

Quelles sont les conséquences de ces méthodes ?

Ça détruit complètement le chien, ça détruit complètement la relation ou le peu de relation qu’il peut déjà y avoir. Avec ces méthodes, les personnes dans leur quotidien vont passer 10-15 ans de leur vie en conflit permanent avec le chien. Elles auront tout le temps dans la tête qu’elles doivent être le chef de meute. Et évidemment en termes de bien-être c’est une catastrophe. On est censé avoir un chien pour partager des bons moments avec lui, le considérer comme un membre de la famille et au final on se retrouve avec un boulet qu’il faut maîtriser tout le temps pour ne pas se faire dominer.

Y a-t-il eu de graves conséquences aux pratiques du centre ?

Il a tué un de ses chiens (rectification : le chien d’un client), avec le ferrage il me semble, ou alors il l’avait complètement pendu. Il a eu l’interdiction de posséder des chiens, mais il a quand même le droit d’exercer auprès d’autres propriétaires et de former des gens…

Capture d'écran d'un article de presse parlant du chiot tué par un dresseur sur Arras en 2016.

Que faisiez-vous en tant que stagiaire ?

Sur ma session on était seulement deux, l’autre venait de très loin car il était réputé pour être le meilleur. On était censé être 3 mais le dernier a quitté la formation après la première journée car il a trouvé les méthodes hallucinantes. Nous on était dans un coin de la pièce, on ne devait pas intervenir. Même s’il me l’a proposé je n’ai jamais voulu faire de pratique. L’autre personne qui était là était partante pour tout donc je la laissais faire. Elle a animé un cours collectif mais moi je n’ai jamais voulu, en prétextant que je ne me sentais pas encore légitime. Je ne voulais juste pas faire subir ça ni aux gens ni aux chiens.

Quand as-tu commencé à te poser des questions ?

Je crois que c’était au bout du deuxième jour. Ça devait être le premier bilan auquel j’ai assisté. Le pire c’est qu’à ce moment-là je commençais seulement à me dire qu’il y avait peut-être un problème. Mais j’étais encore aussi dans l’idée que ça fonctionnait. Et à ce moment-là je ne connaissais que ça… C’est au fur et à mesure quand j’ai vu les réactions hallucinantes à la fois des chiens et des gens, en assistant aux cours collectifs, etc. En sortant de là, je me suis dit qu’il fallait absolument que je trouve autre chose.

Qu’as-tu fait après le stage ?

Pour avoir le diplôme, il a fallu faire une lettre pour donner son avis sur la formation. En sachant que c’était bien précisé “les avis seront lus avant la remise du diplôme”, donc quand tu comprends que ton diplôme dépend de ton appréciation… Diplôme que j’ai eu mention “très satisfaisant” alors que je n’ai jamais touché un chien !

Quand je suis ressorti de là je me suis dit, si je m’installe maintenant qu’est-ce que je fais ? Finalement j’en étais au même point qu’il y a 2 mois, je ne savais pas résoudre un cas, je ne savais pas aider les gens. La seule chose dont j’étais sûr c’était que jamais je n’utiliserais ces méthodes-là sur mes chiens. Donc j’ai tout remis en question. J’ai commencé à chercher d’autres pistes, et au niveau des réseaux on parlait de plus en plus d’éducation positive.

J’ai découvert la formation de Cynologiste, dès les premiers modules on parle beaucoup de ces idées reçues que j’avais appris l’année d’avant. Tout m’a paru tellement évident et logique que je savais que j’étais sur la bonne voie, et que j’avais eu raison de ne pas m’installer avec ces méthodes-là.

Que retiens-tu de ce stage ?

Même si ça ne m’a jamais servi à rien, ça n’a pas non plus était une perte de temps, parce que j’ai appris tout ce qu’il ne fallait pas faire avec un chien et avec les gens. Maintenant, ça me sert quand j’ai des clients qui ont ce discours et ces méthodes, je me sens plus légitime de leur parler des conséquences sur leur chien, sur eux, sur leur quotidien.

Le centre a-t-il formé beaucoup de personnes ?

Oui. Je sais pas combien il fait de session de formation par an, mais sur le secteur il y en a quand même pas mal qui y sont passés et qui utilisent ces méthodes. D’ailleurs, j’ai beaucoup de clients qui viennent de personnes qui ont été formées là-bas, parce qu’elles ne sont pas satisfaites de la façon dont elles et leurs chiens sont traités, des résultats obtenus et des outils utilisés.

Y a-t-il une personne connue qui a été formée là-bas ?

Tu veux vraiment que je le dise ? … Le monsieur qui a décidé de vendre son kit de canette. De toute façon c’est affiché sur son site internet !

Prends-tu parfois en charge des chiens ayant été éduqués avec ces méthodes ?

Je vois souvent du ferrage. Au final le chien ne bronche même plus, il se balade au pied tout le temps. Mon premier travail est de réapprendre à la personne à gérer sa laisse pour proposer une vraie balade à son chien. Au niveau de la canette, j’en ai eu un une fois qui s’est mis à avoir peur de tous les bruits. La canette avait été faite sur lui étant chiot, à 3 ou 4 mois. Avant, il n’avait peur de rien, mais après la canette il avait peur de tous les bruits. Les propriétaires avaient réussi à rattraper un peu le coup mais le moindre bruit un peu fort c’était compliqué.

À PROPOS DE L'AUTEUR
Sarah Terlutte

Éducatrice comportementaliste canin

Signature Sarah Terlutte
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